13

 

Après avoir séché Gwen, Sabin la porta jusqu’au grand lit où elle se pelotonna contre lui. À travers l’unique fenêtre de la chambre, ils regardèrent l’aube se lever, et restèrent là, immobiles, nus, enlacés, vidés, perdus dans leurs pensées.

— Tu as oublié ta promesse de dormir par terre, fit remarquer Gwen, brisant le silence.

— Je n’ai pas dormi, donc je n’ai pas trahi ma promesse, rétorqua-t-il avec un petit sourire.

— C’est vrai, admit-elle.

De nouveau, le silence les enveloppa. Mais ils demeurèrent éveillés.

Sabin s’était pourtant attendu à ce que Gwen s’endorme paisiblement dans ses bras. Elle avait les yeux plus cernés que jamais et il l’avait surprise plusieurs fois à bâiller. Mais elle persistait à garder les yeux ouverts.

Lui non plus ne pouvait pas dormir. Il affectait un air calme et détendu, mais il devait lutter sans relâche contre Crainte qui se débattait pour atteindre l’esprit de Gwen.

« Je devrais m’éloigner d’elle avant qu’il ne la détruise. » Mais il ne parvenait pas à s’éloigner, et une foule de bonnes raisons se bousculaient dans son crâne pour justifier sa lâcheté.

D’abord Paris, qui pouvait entrer dans la chambre et ne se gênerait pas pour séduire Gwen s’il la trouvait seule.

Ensuite les chasseurs… L’un d’eux pouvait s’échapper du donjon et se barricader avec elle pour la prendre en otage.

Et enfin, elle pouvait décider de s’enfermer d’elle-même.

Tout cela était fort recevable, mais ne justifiait pas qu’il se vautre avec elle sur ce lit douillet. Pourtant, elle était si tiède et douce contre lui… Elle fleurait bon le citron – et lui qui adorait justement le citron ! Elle poussait de temps à autre de délicieux soupirs qu’il s’empressait d’avaler.

Il la désirait de nouveau. Et cette fois, il rêvait de la posséder totalement. Il voulait enfoncer son sexe en elle, aller et venir en rythme, d’abord lentement et doucement, puis comme une bête, sans retenue, dans une danse sauvage qui les lierait à jamais. Jamais il n’avait contemplé un corps aussi sublime. Jamais une femme ne l’avait autant excité ni ne s’était donnée à lui avec tant d’abandon, en le mordant jusqu’au sang.

Il s’était promis de ne pas aller jusqu’à l’orgasme, pour ne pas avoir envie de recommencer, mais il s’était laissé emporter. Et bien sûr, comme il l’avait prévu, il ne songeait plus qu’à recommencer.

Tant pis.

Il ne pouvait pas se douter qu’elle pousserait de tels cris d’extase… Ni qu’elle aurait cette peau aux reflets de nacre qu’on ne se lassait pas de regarder.

— Elle te hait, à présent, et elle ne veut plus rien de toi. Pendant que tu l’embrassais, elle pensait probablement à Tyson. Dire que tu croyais lui inspirer de la passion… Elle t’avait pourtant dit qu’elle ne l’avait pas oublié. Tu ne comptes pas, à ses yeux.

Les bras de Sabin se refermèrent convulsivement autour de Gwen, et elle laissa échapper un bruyant soupir, comme s’il avait chassé l’air de ses poumons. Il se fit violence pour desserrer son étreinte, puis se concentra pour placer une barrière dans son esprit et faire taire son démon. Gwen n’avait certainement pas pensé à son ex-petit ami – ex, et pas petit ami –, et ce n’était pas Crainte qui allait le convaincre du contraire. Elle avait bien murmuré son nom : Sabin. Crainte était furieux parce qu’il ne le laissait pas approcher Gwen, alors se rabattait-il sur lui.

— On pourrait cesser de faire semblant de se détendre comme deux amants ordinaires ? demanda soudain Gwen.

Il soupira et son souffle dérangea des mèches rousses qui dansèrent sur sa poitrine en le chatouillant. Si seulement ils avaient pu être des amants ordinaires ! Pas de démon, pas de harpie, pas de guerre… Juste deux amoureux profitant du bonheur d’être ensemble.

Sabin fut surpris que de telles idées lui viennent à l’esprit. Au cours de sa longue existence, il n’avait jamais regretté d’être un guerrier puissant et éternel, capable de prodiges. Bien sûr, il avait commis une faute en aidant ses compagnons à voler la boîte de Pandore. Il avait été chassé de l’Olympe et avait beaucoup souffert. Mais sa souffrance, il l’avait acceptée parce qu’il la méritait. De plus, elle l’avait rendu plus fort.

— Comme tu voudras, dit-il. Je suis d’accord pour parler. Mais c’est moi qui pose les questions et toi qui réponds. J’ai remarqué que tu ne dormais jamais. Pourquoi ?

— Et moi, je remarque que tu poses beaucoup de questions, marmonna-t-elle.

Puis elle soupira, résignée.

— Je n’ai tout simplement pas besoin de dormir.

D’un mouvement fluide, elle roula sur le dos, comme pour s’éloigner de lui. Il en fut déçu et frustré.

Puis il se consola en songeant que cela valait mieux. Depuis la mort de Darla, il s’était juré de ne plus s’attacher à une femme. Il avait tenu parole pendant onze ans. En prenant ses distances, Gwen lui rendait service, mais il était vaguement agacé qu’elle se montre plus raisonnable que lui.

— Tu refusais de manger quand tu étais affamée. Tu refusais de te laver alors que tu étais couverte de crasse. À présent, tu as l’air épuisée et tu prétends ne pas avoir besoin de dormir.

— Il trouve que tu as l’air d’un zombie. Que tu es complètement défaite. Que tu as une sale mine.

Sabin entendit les murmures de Crainte, mais il n’eut pas le temps de les retenir. Ils glissèrent jusqu’à Gwen.

Elle se raidit.

— Ton démon est un beau salaud, dit-elle.

— Je sais.

— Tu ferais mieux de la boucler, menaça-t-il mentalement. Tu te souviens de la boîte de Pandore ?

Crainte se contenta de grogner en guise de réponse. La boîte le terrorisait. Il suffisait de la mentionner pour obtenir un peu de répit.

— Eh bien ? demanda Gwen. J’ai l’air d’un zombie ou pas ?

Sabin eut envie de rire.

— Pas du tout ! protesta-t-il. Tu es une magnifique créature.

Voilà maintenant qu’il se comportait comme Lucien, qui couvrait Anya de compliments ridicules. Mais cela ne le gêna pas le moins du monde.

— Je ne te crois pas, protesta Gwen en roulant sur le côté pour mieux l’observer. Au fond, tu es bien obligé de dire que je suis jolie, même si tu ne le penses pas…

— Exactement, parce que je suis un gentleman, répondit-il sèchement.

Il roula lui aussi sur le côté, pour rencontrer son regard.

Ses boucles encadraient son beau visage et ses délicates épaules. Leur étrange couleur se reflétait sur sa peau translucide qui avait pris des reflets de feu.

— Tu me considères comme un manipulateur ? Tu te trompes. Je n’ai nul besoin de manipuler. Je suis capable de prendre de force autant de femmes que je désire.

Les lèvres charnues de Gwen – ces lèvres qu’il avait mordues, sucées, embrassées – esquissèrent un demi-sourire. Il eut aussitôt une érection et remercia les dieux que la moitié inférieure de son anatomie soit couverte d’un drap.

Il ne fallait surtout pas qu’elle se doute qu’il la désirait à ce point. Ils avaient conclu un accord : elle les aiderait à combattre les chasseurs, il l’aiderait à contrôler sa harpie et la protégerait de ses compagnons. Et quand la guerre serait finie, il cesserait de penser à elle et la laisserait partir.

— Tu ne cherches pas vraiment à me manipuler, mais tu me passes de la pommade parce que tu as besoin de mon aide, fit-elle remarquer.

— Tu as déjà promis de nous aider, que je sache.

— Elle s’évanouit à la vue du sang et tu veux qu’elle se batte avec vous ? Tu divagues !

— Tu vas combattre pour notre cause, répéta-t-il pour que le démon entende bien.

Et aussi pour s’en convaincre.

— Il serait préférable que je me cantonne à des recherches sur internet, ou à la paperasse. Si vous tenez le compte de vos… euh… des chasseurs que vous éliminez, je peux m’en charger. Je peux aussi vous seconder activement dans votre quête des objets de pouvoir. Avant d’être enlevée, je travaillais dans un bureau. On me chargeait du secrétariat et j’étais très efficace.

Elle avait dit ces mots d’un ton plein de fierté qui l’étonna.

— Et ça te plaisait ? demanda-t-il.

— Bien sûr.

— Tu ne trouvais pas ça ennuyeux ?

La vraie question, celle qu’il n’osait pas poser, concernait la harpie. Comment la harpie avait-elle supporté la routine d’un travail de bureau ? Pour s’épanouir, une harpie avait besoin d’aventure et de danger. Gwen cherchait à nier cette partie de son être, mais elle ne pouvait tout de même pas l’annihiler totalement.

— Un peu, admit-elle en enroulant une mèche de cheveux autour de son index. Parfois.

Il faillit éclater de rire. Bien sûr, qu’elle s’était ennuyée, et certainement plus qu’elle ne voulait bien le dire.

— Je te rétribuerai pour ta contribution à notre cause, dit-il en se souvenant que les harpies n’avaient pas le droit d’accepter gratuitement de la nourriture.

Il avait surtout besoin d’elle sur le champ de bataille, mais rien n’empêchait de l’utiliser aussi pour des recherches de bibliothèque. C’était même un excellent moyen d’amorcer leur collaboration.

— Ton prix sera le mien. Que veux-tu ?

Quelques minutes s’écoulèrent dans le silence.

— Je ne sais pas, répondit-elle enfin. Il va falloir que j’y réfléchisse.

— Tu ne vois rien qui te serait nécessaire ou qui te ferait plaisir ?

— Non.

Elle savait que la victoire comptait plus que tout pour lui, et elle aurait pu en profiter pour exiger l’impossible. Mais rien ne lui venait à l’esprit. Étrange… N’importe qui, à sa place, aurait exigé une somme astronomique. Il se demanda à quoi les harpies accordaient de la valeur. À l’argent ? Aux bijoux ?

— Que font tes sœurs, pour gagner leur vie ?

Elle pinça les lèvres.

Manifestement, elle rechignait à répondre. Il en déduisit qu’elle n’avait pas le droit d’en parler, ou bien qu’elle avait honte.

— Elles se prostituent ?

Gwen poussa un petit cri horrifié et le gifla, puis elle retira sa main d’un air abasourdi, comme si elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle venait de faire. Sans doute avait-elle peur qu’il ne se mette en colère. Pour une petite gifle ? Il retint un sourire.

— Tu l’as mérité, aussi je ne m’excuserai pas, dit-elle. Mes sœurs ne sont pas des prostituées.

— Elles tuent pour de l’argent ?

Cette fois, il ne reçut pas de gifle et elle ne parut pas horrifiée. Elle se contenta de le regarder fixement, entre ses longs cils. Bingo.

— Ce sont des mercenaires, dit-il.

Bon sang ! Ça tombait bien !

— Oui, avoua-t-elle. Ce sont des mercenaires.

Il en aurait presque ri de joie. On prétendait qu’une harpie était capable de détruire une armée de mortels… De quoi donc seraient capables quatre harpies ? Il était prêt à les couvrir d’or s’il le fallait.

— Je vois des étincelles dans tes yeux, fit-elle remarquer. Je sais ce que tu penses.

De sa main libre, elle tambourina sur son coussin.

— Je te rappelle que ce sont mes sœurs et qu’elles n’accepteront pas ce travail si je le leur déconseille.

— C’est une menace, ma chérie ?

— Appelle ça comme tu veux, mais il n’est pas question qu’elles combattent pour vous contre les chasseurs.

— Pourquoi ? Tu dis toi-même que les chasseurs sont des êtres vils et méprisables. Si je n’étais pas venu te libérer, ils auraient fini par trouver un moyen de te droguer pour te violer et ils auraient volé ton enfant. Tu devrais au contraire encourager tes sœurs à les combattre.

— Tu les as déjà torturés pour ce qu’ils nous ont fait, à moi et à mes compagnes de captivité, rappela-t-elle d’une voix rauque d’émotion.

— Et ça te suffit ? Moi, quand quelqu’un me cause du tort, j’ai besoin d’une vengeance personnelle. Ne me dis pas que tu n’as pas ressenti une profonde satisfaction quand tu as arraché la trachée de…

— Oui, d’accord, oui, coupa-t-elle précipitamment, les narines frémissantes. Mais je m’estime vengée, justement. Et je ne veux pas passer ma vie à traquer des chasseurs.

Le drap glissa en révélant la pointe d’un mamelon rose. Il s’obligea à détourner le regard pour ne pas être tenté de mettre fin à cette intéressante conversation.

— Mieux vaut passer son existence à traquer ses ennemis que de se terrer comme un lapin, rétorqua-t-il.

Elle leva la main, comme si elle s’apprêtait à le gifler de nouveau. Elle tremblait littéralement de rage. Elle écumait. Il avait enfin réussi à la pousser à bout. La harpie se réveillait. Elle se manifestait déjà dans ses yeux.

— Vas-y, ne lui résiste pas, dit-il.

Il voulait lui prouver qu’il était capable d’affronter le monstre qui sommeillait en elle. Du moins, il l’espérait…

Elle abaissa lentement sa main et cessa peu à peu de trembler. Puis elle inspira profondément et ses yeux reprirent leur éclat doré.

— Ça te plairait, n’est-ce pas ? Tu voudrais vraiment que je me comporte comme toi ? Comme un monstre. Eh bien, ça n’arrivera pas. Si je laissais la harpie se manifester, il n’y aurait pas de survivants. Même mes sœurs ne pourraient pas me résister.

Il haussa les sourcils.

— Tu les as déjà combattues et tu les as blessées ?

Elle acquiesça avec réticence.

— Je n’étais qu’une enfant et elles jouaient avec moi, pour me distraire, en me provoquant un peu. J’ai explosé. Elles s’en souviennent encore.

— Pourtant, tu ne cesses de répéter qu’elles sont plus puissantes que toi.

— Parce qu’elles maîtrisent leur harpie. Et pas moi.

Il prit le temps de réfléchir à cette déclaration, tout en lui caressant distraitement les cheveux.

— Je me sens capable d’affronter ta harpie, répéta-t-il. N’oublie pas que je suis un immortel, moi aussi, et que je guéris vite de mes blessures.

Il se souvenait parfaitement de la rapidité avec laquelle elle avait attaqué le chasseur des catacombes, mais elle n’aurait pas aussi aisément raison d’un Seigneur de l’Ombre – un guerrier immortel qui avait derrière lui des siècles d’expérience, un combattant d’élite à la détermination sans faille. Tant qu’elle ne lui coupait pas la tête, il ne risquait pas grand-chose.

— Tu es complètement fou, dit-elle.

Puis elle se figea, comme si la phrase lui avait échappé et qu’elle la regrettait déjà.

— Tu peux dire tout ce que tu veux, je ne t’en voudrai pas, assura-t-il.

Elle se détendit un peu.

— Tu regrettes ce qui s’est passé sous la douche ? demanda-t-il.

Il cherchait à changer de conversation, mais pas seulement. Elle venait de lui faire comprendre, une fois de plus, qu’elle désapprouvait tout ce en quoi il croyait. Il avait besoin de savoir où elle en était avec lui.

— Oui, répondit-elle en rougissant.

Elle n’avait pas hésité une seconde et il en fut mécontent.

— Pourquoi ? Tu avais pourtant l’air d’apprécier, sur le moment.

— Elle jouait peut-être la comédie.

Sabin serra les poings. Encore Crainte.

Elle détourna le regard.

— Ce n’était pas mal, fit-elle d’un ton vague. Il me semble.

Ce n’était pas mal… Il lui semblait… Par tous les dieux ! Si elle le prenait sur ce ton, elle allait avoir droit à une deuxième démonstration. Et cette fois, il ne se gênerait pas. Il commencerait par faire danser sa langue entre ses cuisses, pour l’exciter, jusqu’à ce qu’elle le supplie de la pénétrer. Et là, il la retournerait sur le ventre, il la prendrait par les hanches et…

— Et elle te dirait encore que ce n’était pas mal, ricana Crainte.

— C’était plus que pas mal, mais nous en reparlerons plus tard, rétorqua Sabin tout en sautant du lit.

Il était nu comme un ver et elle mit sa main devant ses yeux, tout en laissant une fente entre ses doigts pour l’observer. Il n’était pas dupe.

Il marcha résolument vers l’armoire et, comme d’habitude, commença par se munir de ses armes – quinze lames réparties entre ses chevilles, ses mollets, ses cuisses, sa taille, son dos. On n’était jamais trop prudent… Puis il enfila un jean et un T-shirt portant l’inscription « On se reverra au paradis. »

Il choisit pour Gwen un pantalon de survêtement et un T-shirt blanc qu’il lui lança.

— Debout. Habille-toi.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

Mais elle se redressa pour ramasser les vêtements.

— Tu vas appeler tes sœurs. Je sais que tu redoutes de leur avouer ce qui t’est arrivé. Anya m’a parlé de vous, les harpies, et de vos mœurs. Mais tu n’as rien à craindre, je ne les laisserai pas te punir.

Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais il enchaîna aussitôt.

— Quand ce détail sera réglé, nous descendrons manger. Et tu mangeras. C’est un ordre.

Il ne voulait plus entendre parler de cette histoire de nourriture volée. Il aurait pu s’arranger pour laisser traîner des denrées, de façon à ce qu’elle les « vole », mais il n’était pas d’humeur à faire des concessions.

— Ensuite, je convoquerai mes compagnons pour une réunion, poursuivit-il. Je dois les informer de ce que j’ai appris en interrogeant les chasseurs du donjon. Bien entendu, tu y assisteras. Tu es des nôtres, à présent.

Elle prit un air de défi.

— Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi. Je ne suis pas l’un de tes compagnons.

— Si tu étais l’un de mes compagnons, j’aurais honte des idées qui me passent en ce moment par la tête, ricana-t-il en lorgnant du côté de ses seins.

Il se dépêcha de lui tourner le dos avant de ne plus pouvoir se retenir, et de se jeter sur elle.

— Dépêche-toi, dit-il.

Il y eut un temps de silence, puis un bruit de tissu froissé ; le lit grinça, et elle soupira.

— Très bien, je suis prête, annonça-t-elle d’un ton résigné.

Il se décida à lui faire face. Sa peau, avec ce T-shirt blanc, luisait comme une perle. Il en eut l’eau à la bouche. Cette peau… Il devait absolument y goûter encore. Juste un peu. Il avançait déjà vers elle et tendait le bras…

« Qu’est-ce qui t’arrive donc ? »

Il s’arrêta net, mais il lui fallut quelques secondes pour reprendre ses esprits et se souvenir de ce qu’il attendait d’elle : elle devait appeler ses sœurs. Il alla chercher son téléphone portable sur la commode. L’écran affichait un appel manquant et un message. Il fit défiler le menu. L’appel provenait de Kane. Le message aussi. Kane lui annonçait qu’il passait la journée en ville, mais qu’il resterait joignable et rentrerait sur-le-champ en cas d’urgence. C’était un miracle que Kane ait réussi à utiliser son portable deux fois de suite sans le griller.

Sabin effaça le message de Kane, puis il lança l’appareil à Gwen. Elle tenta de l’attraper au vol, mais ses mains tremblaient et elle le manqua.

— Vas-y, dit-il. Compose tout de suite le numéro.

Elle avait les larmes aux yeux. Avouer à ses sœurs ce qui lui était arrivé la remplissait de honte, et elle aurait aimé encore quelques heures de sursis.

— C’est la nuit, en Alaska, dit-elle. Je devrais attendre un peu.

Sabin comprit ce qui la retenait et ne se laissa pas fléchir.

— Vas-y, répéta-t-il seulement.

— Mais…

— Il faut te secouer ! Tes sœurs te manquent. Tu as toi-même exigé de les avoir au château.

— Je sais, murmura-t-elle tout en caressant les touches rétro-éclairées du petit appareil.

— Je ne les laisserai pas te punir.

— Il n’y a pas que ça. Je ne les crains pas à ce point-là.

Quand elles sauraient que les chasseurs l’avaient enlevée, ses sœurs voudraient la venger et participer à la guerre de Sabin. Elles risquaient d’être blessées… Et ce serait à cause d’elle… De sa lâcheté… Elle se haïrait pour l’éternité.

— Appelle, répéta Sabin.

Elle composa le numéro de Bianka en soupirant.

Celle-ci décrocha au bout de trois sonneries.

— Vous savez l’heure qu’il est ? grogna Bianka. Je vous préviens que…

— Salut Bianka, coupa Gwen.

Elle ne put en dire plus. L’émotion lui noua la gorge et les larmes qu’elle avait réussies à retenir jusque-là roulèrent sur ses joues.

— C’est moi, parvint-elle enfin à murmurer.

Il y eut un temps de pause, puis un cri étouffé.

— Gwennie ? Gwennie, c’est toi ?

Gwen s’essuya les joues du revers du poignet, consciente du regard de Sabin qui la dévorait. Elle songea avec tristesse qu’un guerrier féroce comme lui devait mépriser cette attitude de gamine pleurnicharde. Mais au fond, cela valait peut-être mieux.

— Gwennie ? Tu es toujours là ? Gwennie ? C’est bien toi ?

— Oui. C’est bien moi.

— Par tous les dieux… Tu sais depuis combien de temps nous sommes sans nouvelles de toi ?

« Douze mois, huit jours, dix-sept minutes, trente-neuf secondes. »

— J’en ai une vague idée, répondit-elle. Comment vas-tu, Bianka ?

— Beaucoup mieux depuis que j’entends ta voix, mais je suis tout de même furieuse ! Taliyah va te faire payer cher ton silence. Il y a quelques mois, elle t’a téléphoné pour te sommer de rentrer à la maison. Comme tu ne répondais pas, elle s’est adressée à Tyson. Il lui a répondu que tu l’avais quitté et qu’il ignorait où tu étais partie. Nous t’avons cherchée partout, Gwen. Finalement, nous sommes allées chez Tyson. Il a fini par nous avouer que tu avais été enlevée.

— Vous l’avez torturé ?

Tyson ne méritait pas d’être puni. Il ne l’avait pas défendue parce qu’il avait eu peur. Elle savait ce que c’était que d’être paralysé par la peur, elle ne lui en voulait pas.

— Euh…, bredouilla Bianka. Un peu. À peine. Mais il le méritait. Avec son mensonge, il nous avait fait perdre un temps précieux.

Gwen poussa un gémissement. Puis elle imagina Bianka, avec son épaisse chevelure noire enroulée autour de son crâne, ses yeux ambre qui lançaient des éclairs, sa bouche tordue dans un rictus mauvais… Elle ne put s’empêcher de sourire.

— Vous ne l’avez tout de même pas tué ? demanda-t-elle.

— Je t’en prie, protesta Bianka. Comme si nous allions nous abaisser à tuer un minable comme lui ! Je n’ai jamais compris ce que tu lui trouvais.

— Tu exagères. De plus, il n’est pas responsable de ce qui m’est arrivé, et il ignorait où j’étais retenue prisonnière.

— Je suppose que tu t’es chargée de te venger de ceux qui t’avaient enlevée. Ils sont morts, n’est-ce pas ?

— Je… Je te raconterai tout ça une autre fois.

Elle se hâta d’enchaîner avant que Bianka ne cherche à en savoir plus.

— Je me trouve en ce moment à Budapest, et vous me manquez, fit-elle remarquer d’un ton ému.

— Dans ce cas, rentre, répondit Bianka d’une voix suppliante.

Elle qui n’avait jamais supplié personne…

— Nous te voulons près de nous. Ta disparition a failli nous détruire. Maman est partie. Elle ne supportait plus qu’on lui reproche de t’avoir poussée à quitter la maison. Tu n’as rien à craindre, tu seras bien accueillie.

De nouveau, Gwen se sentit coupable de ne pas les avoir prévenues plus tôt qu’elle était libre, saine et sauve.

« Je suis lâche…»

— Je suis chez… Euh… Chez les Seigneurs de l’Ombre. Ils veulent vous rencontrer.

— Tu es chez les guerriers immortels possédés par les démons de la boîte de Pandore ! s’exclama Bianka.

Puis elle marqua une pause.

— Qu’est-ce que tu fais à Budapest avec les Seigneurs de l’Ombre ? reprit-elle d’une voix menaçante. Ils te séquestrent ?

— Non. Pas du tout. Jamais ils ne feraient une chose pareille. Ils sont très corrects.

— Corrects ? ricana Bianka. Tu plaisantes ? Aurais-tu oublié que ce sont des démons… ? J’ai l’impression que tu as bien changée !

— Alors, vous venez ? insista Gwen.

— Nous partons sur-le-champ, ma chérie, répondit Bianka sans la moindre hésitation.

Le piège des ténèbres
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